A la recherche de l'esprit du mot




Les mots ont ce pouvoir qu’il suffit de s’ennuyer ou de, disons, avoir suffisamment de vide en soi, pour que de s’accrocher à l’un ou l’autre, de ces mots, comme en ouvrant la page d’un livre par hasard, nous finissions par y trouver le sens de nos préoccupations actuelles. 

 

Déjà, dans la journée, Robert avait largement eu le temps de faire le tour des blagues. J’avais renoncé depuis quelques temps au projet de nourrir une conversation consistante. D’ailleurs, ces derniers temps, au lieu de parler de « plat de résistance », je n’arrêtais pas de parler de « plat de consistance », et j’étais infoutue de retrouver ce mot, « résistance ». La consistance faisait de la résistance.

 

Les blagues que j’avais trouvé les plus drôles concernaient les femmes et les juifs. Par exemple : quel est le point commun entre les chaussures et les juifs ? Réponse : on en compte plus en 38 qu’en 45. Je n’ai pas trop compris certaines blagues mais j’ai ri quand même pour montrer que j’ai de l’expérience. Par exemple : comment faire hurler une femme deux fois ? Réponse : en la sodomisant puis en s’essuyant dans les rideaux. Je ne voyais pas vraiment pourquoi une femme hurlerait parce que ses rideaux se retrouvent tachés de merde et de sang. Un tour de machine et c’est fini. Je commençais à remarquer que nous ne partagions pas tout à fait la même vision des choses. Nos priorités ne se situaient pas au même endroit. Lorsque Robert faisait la vaisselle, il en avait pour quarante minutes. Pour moi, c’est dix secondes par ustensile à l’eau froide, éventuellement avec une éponge quand elle existait. 

 

Cage mentale

Et ce soir, voilà, c’était le livre sur les contrepèteries. La soirée virait catastrophique.

 

-        C’est embêtant la bise souffle jusqu’au banc.

 

Les contrepèteries consistent à inverser les syllabes des mots d’une phrase pour que ça fasse des mots drôles. Le mot « bise » appelait le mot « bite », suscitant un échange du « s » avec le « t » du mot « embêtant », celui-ci devenant ainsi « en baisant ». J’étais soulagée de m’en être sortie à si bon compte. Je fis semblant de rire pour signaler que j’en avais eu ma dose. Très drôle : c’est en baisant que la bite souffle jusqu’au banc. J’espérais trouver une occasion de changer de sujet en me tournant vers la fenêtre pour trouver l’inspiration mais celle-ci ne donnait que sur un mur.

 

-        Tu n’as pas terminé.

 

Les contrepèteries au ciel, aussi divines que le Symbole de Nicée-Constantinople. Qu’est-ce que ça peut vouloir dire, que ça souffle jusqu’au banc ? De ma vie, et pourtant j’ai grandi dans la plaine sous les Alpes, territoire agacé l’automne et l’hiver durant par la bise, je n’ai vu une bise souffler jusqu’à un banc. Jamais un banc ne peut à lui seul arrêter un vent. J’ai vu la bise le contourner, le renverser, le subjuguer, l’enrôler, mais jamais s’y arrêter. Je mendiais la réponse à hauteur de l’indifférence que je nourrissais à son égard.

 

-        Tu dois trouver, me répondit-il avec l’air de se prendre pour le dernier des as.

 

La lumière à tous les étages

La lampe hibou posée à ma gauche, sur le guéridon, semblait froncer les sourcils. La communication est une illusion, me disait souvent Robert, répétant Freud, pour se délester de la corvée de s’intéresser aux propos d’autrui. Un couvre-boîte à mouchoirs se trouvait en face de moi, sur une table basse. Le carton se trouvait à l’intérieur du couvre-boîte en bois. Ce couvre-boîte en bois permettait de cacher le carton. Le dispositif apportait une touche de sobriété à l’élément pourtant tragique de la simple boîte à mouchoirs. Au bout d’un certain point, l’adhérence aux mots elle-même se dissout. Il ne reste plus que l’éclat subi de la violence, qui s’enfle jusqu’au … Sans sympathie préalable à s’y accrocher, aucun mot, aucune idée, aucun concept, aucun sentiment, ne peut conduire à cet effet, si peu interrogé, de provoquer cette fausse évidence : ça, c’est moi – moi, c’est moi. A ceci je devinai que nous n’étions pas rendus fous par le même Esprit. 

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